Lettres, 1942, Bordeaux, Paris,  mère, fils

Lettres d'Alice Mandouze à son fils Jean entre le 6 octobre et le 18 décembre 1942.

En septembre 2019, lors d’une vente du Secours catholique à Lanton, j’ai trouvé un grand carton de plus de 500 lettres. J’ai lu plusieurs courriers, les plus anciens dataient des années 20. Le personnel du Secours catholique ne savait pas d’où provenait ce don. Les lettres étaient vendues à l’unité, je leur ai proposé d'acheter le tout pour 10 euros et je suis repartie (en vélo) avec le carton.

 

Je me suis mise à lire ces lettres dans le désordre et j’ai tout de suite été saisie par la profondeur, l’intensité et la chaleur humaine de ces échanges. Les épistoliers vivaient éloignés géographiquement (Paris, Bordeaux, Alger, Oujda, Dakar, Marseille, …) et ils avaient absolument besoin de recevoir une correspondance régulière et sincère. J’ai aussi cherché les origines des expéditeurs et la personnalité d’André Mandouze est vite apparue même si peu de lettres sont de lui. L'essentiel de la correspondance émane de sa mère, son frère, sa belle-sœur et la mère de celle-ci. J’ai classé ses lettres par expéditeur, elles étaient plus ou moins rangées dans des enveloppes par années, je les ai placées dans un placard et je suis retournée à mes travaux en cours.

 

Puis le mardi 17 mars 2020, je me suis retrouvée confinée chez moi à cause de la pandémie de Covid19. Un temps suspendu s’ouvrait à moi pour commencer à exploiter ces archives du quotidien.

Isabelle Antonutti

 

 

Lettres, 1942, Bordeaux, Paris,  mère, fils

Un peu de méthode :

  J’ai attaqué cette montagne de lettres par une toute petite partie : une trentaine de courriers d’Alice Mandouze à son benjamin, Jean, qui s’installe à Paris en octobre 1942. Il est pensionnaire au lycée Saint-Louis et prépare le concours d'entrée à l'École navale. La famille Mandouze habite au 47 cours de la Martinique à Bordeaux. Alice et Gustave ont trois enfants, Arlette (dit Mimi), André (dit Dédé) et Jean. Tous les membres de  la famille correspondent régulièrement, mais seules les lettres de la mère ont été préservées.

 

Ces lettres racontent la vie au quotidien pendant l’automne 42. Faut-il rappeler qu’en 1942, la trajectoire de la Seconde Guerre mondiale commence à basculer. Alors que les Allemands semblaient vainqueurs, des failles fissurent l’implantation des nouveaux maitres du monde.

 

" L'histoire est racontée par le récit d'événements vrais vécus par les hommes" dit Paul Veyne et Alice Mandouze raconte ici une période cruciale de notre histoire. Elle ne le sait pas encore, mais quelques mois plus tard ses deux fils s’engageront dans la résistance.

En ce mois d’avril 2020, nous vivons une autre secousse de l’histoire et les encouragements  d’Alice s’inscrivent en écho dans notre période de confinement et d’incertitudes.

Philosophe du quotidien, moraliste et aussi profondément croyante, Alice élève son fils. Elle donne les dernières nouvelles de son entourage, partage ses émotions, raconte le feuilleton radiophonique, le dernier film, évoque la situation politique, rappelle toutes les difficultés du ravitaillement. Elle traite du temporel tout autant que du spirituel.

 

J’ai lu, scanné, dépouillé, classé ces écrits. Ils ne sont pas datés précisément mais j’ai pu grâce à l’évocation des évènements politiques, au livre de mémoires d’André Mandouze et à un calendrier de 1942, rétablir la chronologie de ces courriers qui s’échelonnent entre le 6 octobre et le 18 décembre. Après cette date, Jean quitte la France pour l’Espagne puis il s’engage dans les Forces française Libres en Afrique du nord.

 

A chaque lettre, je me permets une lecture personnelle de  « ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel » (Pérec, G.1989, L’infra-ordinaire, Seuil). Le conseil d'Alice commence la page qui se partage ensuite entre la culture, la politique, le ravitaillement, les nouvelles de la famille. Chaque extrait est illustré, les coupures de presse sont issues du site Retronews. Les commentaires sont ainsi confrontés au contexte historique. Parfois, j'ajoute un nota bene qui explique certains faits. Chaque lettre est aussi disponible en intégralité.

 

Cette recherche est relatée dans un article paru dans la revue Epistolaire sous le titre « Histoire d’une découverte » en 2022.

Commentaires: 6
  • #6

    Jean-Marc (lundi, 25 mai 2020 14:04)

    Nous avons consulté "Lettres 1942...". Intriguant, touchant ; donne envie d'en savoir plus.
    Et quelle histoire ! Un vrai trésor, ce carton abandonné dans le bric à brac du Secours Populaire.
    Quelle merveilleuse idée. Je ne connaissais pas André Mandouze. "Intensité et chaleur humaine", en effet, au sein de cette famille dans la tourmente.
    Les mises en échos de témoignages (photos, lettres) intimes d'une époque donnée (et chahutée !) avec nos perceptions "anachroniques" et "indiscrètes" me préoccupent depuis longtemps. Tu connais sans doute Christian Boltanski et son travail sur les mémoires affectives inventées à partir d'images et d'objets "trouvés".
    Nous somme impatients de découvrir la suite.

  • #5

    Brigitte S. (lundi, 25 mai 2020 13:55)

    Merci de m'avoir raconté cette belle histoire.
    Je suis très sensible à ces situations où, par hasard,des liens invisibles se créént entre des personnes que tout semble séparer.
    L'histoire de ces lettres est très belle et la relation que tu entretiens avec ces gens dans le contexte très particulier du confinement est très romanesque.

  • #4

    LL (lundi, 25 mai 2020 13:54)

    Merci beaucoup pour cette très intéressante et émouvante démarche. Jean Mandouze était un homme courageux et engagé, grand défenseur , notamment, du port de Bordeaux. Merci mille fois de nous partager ce trésor, je suis extrêmement touchée d’autant que je connaissais Jean Mandouze et sa femme. Je vais lire tout ce témoignage avec beaucoup d’attention.

  • #3

    MIchèle (lundi, 25 mai 2020 13:50)

    Quelle belle idée d'avoir récupéré ces lettres familiales. Je suis très impressionnée par votre travail pour les faire revivre: les extraits choisis, les illustrations et les documents sonores que vous avez retrouvés . C'est passionnant. Ces lettres du quotidien d'une mère à son fils sont touchantes.

  • #2

    sr (lundi, 25 mai 2020 13:49)

    Je vous remercie le partage de cette découverte formidable. La correspondance est un trésor pour l’étude du quotidien des Français des années 1910 aux années 1980 (je crains qu’elle n’existe quasiment plus ensuite, avec l’arrivée du téléphone filaire aux domiciles des Français).

  • #1

    Retronews (lundi, 25 mai 2020 13:46)

    Nous sommes heureux d'apprendre que les archives de presse que nous mettons à disposition sur RetroNews vous ait aidée dans l'éditorialisation des lettres que vous avez découvertes.
    C'est un travail formidable que vous avez accompli, émouvant mais aussi instructif sur l'époque, et nous vous remercions chaleureusement de nous l'avoir partagé.
    Je reste à votre entière disposition si vous avez la moindre question sur RetroNews, nos contenus éditoriaux, ou sur nos outils de recherche avancée. En vous souhaitant une excellente journée.
    RetroNews